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Du psychologique au transpersonnel :
Le pouvoir de la conscience dans le processus thérapeutique

Jean-Marie Delacroix

Il me semble que nous autres, psychothérapeutes, avons peu exploré la question de la conscience, ce qui me semble être un paradoxe alors que c’est là, me semble-t-il, l’un des thèmes importants de la psychothérapie transpersonnelle. Ce thème est traité de façon plus fine par les Gestalt-thérapeutes qui différencient « awareness » et « consciousness », et par certains thérapeutes du courant transpersonnel.

  1. Wilber, considéré comme l’un des créateurs de la psychologie transpersonnelle, présente un « modèle intégral » de la conscience en 9 niveaux, qu’il développe dans Une brève histoire de tout. De son côté, le thérapeute-chaman suisse Laurent Huguelit a étudié le concept de conscience. Il la perçoit comme un ensemble de huit circuits en interactions les uns avec les autres, permettant de conscientiser le visible et parfois aussi le non visible.

Au cours des douze dernières années, je me suis particulièrement intéressé à la relation thérapeute-patient et à la conscience en tant qu’outil clinique fondamental dans le processus de co-construction de la relation. J’en arrive aujourd’hui à distinguer quatre modalités de conscience au niveau psychologique et psychosocial, avec leur prolongement et expansion au niveau transpersonnel. Je vais les présenter les unes après les autres, mais dans la réalité d’un processus fluide, elles ne sont pas dans cette linéarité pédagogique. Elles sont toujours en interdépendance, en mouvement, en stimulation mutuelle et en échange, avec des moments où c’est l’une ou l’autre qui est en avant-plan. Cette invitation à être dans la conscience de l’expérience vécue en relation avec l’autre donnera, je l’espère, aux lecteurs des informations sur quand et comment laisser les contenus pour entrer dans le « être dans la conscience ensemble » dans la continuité. Entrer dans ce que j’appelle la posture méditative en thérapie.

1 – les 4 modalités de conscience au niveau psychosocial

Les quatre modalités de conscience de ce niveau sont les suivantes : sensori-awareness, émotionnel-relationnel, cognitif, social-existentiel.

Modalité sensori-awareness : être dans la conscience de ce qui se passe au niveau sensoriel-corporel, se maintenir dans cette attention pour créer un état plus aware (état de vigilance et d’éveil à ce qui est) et s’abandonner à ce qui vient dans le continuum de la vie. Il s’agit de développer ce qu’on appelle « awareness » en Gestalt-thérapie, cette capacité à développer une conscience immédiate et fine de la situation, qui passe par le corps. C’est la base fondamentale de tout ce qui va suivre.

Modalité émotionnelle-sensorielle : aujourd’hui je mets la personne en avant ainsi que sa rencontre avec l’autre et ce qui m’intéresse, c’est le champ thérapeute-patient, thérapeute-monde, le champ patient-thérapeute, patient-monde. Au cours du processus thérapeutique nous invitons le patient et nous-même à entrer dans la pleine conscience de ce qui se passe entre l’un et l’autre. Nous entrons explicitement dans la relation et dans les émotions provoquées par la conscience que l’autre existe en face de nous et que nous avons à trouver une façon d’être ensemble. Nous sommes dans l’affectation qui passe de l’un à l’autre, dans la co-affectation, la co-influence.

Modalité cognitive : le « être-là ensemble » dans la pleine conscience de l’expérience en cours et de ses fluctuations au cours du temps qui passe peut amener au niveau cognitif : le processus thérapeutique devient le lieu de réactualisation de certains comportements du patient (éventuellement aussi du thérapeute). Le patient prend conscience de comment il se situe face au thérapeute, il identifie sa façon d’être et de faire avec lui, ses répétitions. Le thérapeute de son côté observe comment lui se situe face au patient. Quand cette modalité est ouverte et qu’elle s’appuie sur les deux précédentes, on entend souvent cette réaction étonnée des patients : « Ah oui, je n’avais pas réalisé que je suis pris dans son système et que c’est pour cela qu’on tourne en rond… maintenant je comprends ce qui se joue dans ma vie dans cette situation ». C’est ce qu’on appelle l’insight, avec l’effet de surprise, de gêne, d’émerveillement, de honte que cela peut provoquer.

Modalité sociale-existentielle : La prise de conscience de ce qui caractérise la relation thérapeute-patient et de comment s’est co-construit le « être ensemble » amène à sortir du milieu clos de la thérapie et à regarder quel est le rapport avec les autres, le social, la communauté, le monde. Cela vient interroger aussi sur notre système de valeur, celui de notre famille, de notre culture, de notre appartenance aux différents groupes que nous fréquentons. Nous nous questionnons aussi sur nos choix, nos rejets, nos critiques sur la société, notre responsabilité dans le devenir de la planète. Et par extension, ou simultanément, naturellement, viennent les thèmes existentiels : la vie, la mort, la solitude, l’argent, l’angoisse, le vide, la sexualité, l’amour, la spiritualité…

Dans cette façon de travailler, il s’agit pour le psychothérapeute de soutenir le processus de conscientisation dans ses différentes modalités, et de travailler en sorte qu’elles rentrent dans un rapport fluide et en synergie les unes avec les autres. Ce processus de conscientisation va venir s’appuyer sur les contenus, sur ce que nous observons du processus et va donner lieu à des moments où l’on est plus particulièrement dans cette posture que j’appelle posture méditative dans le processus que je présenterai en conclusion.

2 – Les quatre modalités au niveau transpersonnel 

Le travail psychothérapeutique dans une perspective classique peut s’arrêter au niveau précédent, tout dépend de la posture du thérapeute, de ses croyances, de son anthropologie, de sa manière de voir l’environnement, de son rapport à la spiritualité.

L’observation clinique, le dialogue avec d’autres approches ainsi que l’esprit transpersonnel nous amènent à penser que les quatre modalités de conscience du niveau psychologique ne s’arrêtent pas là. On pourrait envisager que chacune des modalités de conscience du niveau psychologique-social-existentiel ouvre à quelque chose qui est plus large, à un au-delà de la compréhension que nous pouvons en avoir. Elle pose la question de la transcendance et du besoin d’accomplissement qui est à l’intérieur de chacun d’entre nous, comme l’écrivait  Maslow, il y a un certain nombre d’années.

Ce que je vais développer maintenant est une certaine façon d’envisager l’être humain dans son rapport au monde. Ce ne sont pas des vérités, ce sont des réflexions qui amènent à un questionnement sur notre anthropologie et notre conception de la psychothérapie transpersonnelle.

Le prolongement de la modalité sensori-awareness, nous fait pressentir qu’il y a un au-delà de nous-même, une dimension énergétique émanant du psychologique et ouvrant à d’autres dimensions.

Développer la capacité à être dans l’awareness, ou dans ce que j’appelle le continuum de la conscience immédiate sensorielle-corporelle, seul d’abord et en face du patient ensuite, nous met dans un état de conscience élargi. Cet état nous met en contact avec les fondements même de la vie, avec son mystère, avec la question de notre incarnation dans ce monde, dans le contexte dans lequel nous sommes arrivés. C’est recontacter le souffle de vie par le corps respirant. C’est entrer dans la pleine conscience de l’échange permanent entre nous et l’univers par le double mouvement inspiration-expiration, jusqu’à notre dernier souffle. Entrer dans la conscience du corps respirant, ou en difficulté pour respirer, en face d’un autre, cela nous ramène directement à notre incarnation et dans le questionnement existentiel et métaphysique de pourquoi nous vivons, quel est le sens de notre vie.

Cette modalité de conscience nous permet de sentir par l’intermédiaire du corps-conscience en relation, que la  sphère du psychologique s’ouvre sur la dimension énergétique, que nous pourrions voir comme la puissance contenue dans la force de vie qui nous anime. Nous pouvons pressentir ou sentir que cette force de vie est la source même de la vie en nous, reliée à la VIE. Nous pressentons que nous sommes reliés à ce qui est au-delà de nous et que nous pouvons connaître l’unité corps-conscience-esprit-univers grâce à l’élan de vie réveillé en nous.

Le prolongement de la modalité « émotionnel-relationnel » nous fait sentir la reliance avec les autres et avec ce qui nous dépasse. C’est la sensibilité à l’invisible et à l’Être. C’est aussi l’acceptation, l’ouverture du cœur, le pardon.

Au fur et à mesure que la conscience se pose sur l’émergence des réactions et des émotions en lien avec la présence de l’autre et qu’il y a découverte du rapport intime que l’on entretient avec tout cela, il y a nettoyage de ce fond émotionnel-relationnel. La capacité à ressentir, à percevoir devient plus aiguë, la clairvoyance s’amplifie. On commence à passer d’une hypersensibilité névrotique à une ouverture des sens et du cœur, à une perception multidimensionnelle. L’énergie contenue dans l’émotionnel névrotique peut se réorienter vers l’ouverture du cœur et du plus grand que nous. Le corps peut retrouver sa transcendance en tant que siège de l’âme.

Cette modalité de conscience nous propulse dans le fait que nous sommes des êtres humains en quête de reliance et d’amour  avec ceux qui nous entourent dans la vie quotidienne, puis avec ce qui est au-delà de nous. Grâce à l’expérience de l’Énergie Universelle pressentie dans la phase de sensori-awareness, la restauration du lien avec les autres  peut commencer, et sa projection au-delà de l’ego nous donne la possibilité de nous sentir reliés avec les autres niveaux du vivant, la nature, les plantes, les animaux, avec « l’environnement non humain », pour reprendre l’expression du psychanalyste H. Searles, puis avec l’univers et avec ce que certains appellent le Divin.

L’expansion du niveau cognitif c’est la parole incarnée qui émane des deux modalités précédentes et qui met en lumière qui nous sommes profondément, la parole qui vient de la chair et qui nous fait pressentir le chemin qui mène de l’être à l’Être.

C’est la compréhension de qui nous sommes de l’autre côté de nos systèmes névrotiques. C’est la diminution de l’ego au profit du mental supérieur. La diminution de l’ego du thérapeute met en lumière l’intelligence du processus thérapeutique, elle nous permet de nous relier à une autre forme d’intelligence qui est celle de la création de l’univers, qui est aussi en nous et qui travaille pour notre propre re-création. C’est la parole forte et incarnée qui traduit le processus de transformation : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu… de tout Être il était la vie et la vie était la lumière des hommes… » (St Jean)

Elle vient de l’intelligence du processus incarné dans la « chair de la relation » et dans la bienveillance. Nous passons des lois névrotiques qui régissent la vie de l’être humain à la compréhension des lois de l’univers. Le microcosme fonctionne comme le macrocosme et réciproquement. Le divin n’est pas une entité au-delà, il est en nous. Nous le contactons quand nous sommes unifiés. C’est aller plus loin dans la réceptivité, le lâcher-prise, afin que l’intelligence de l’univers puisse faire son travail de transformation en nous. Se laisser pénétrer par ce flux d’intelligence qui modèle l’univers. C’est la source de la sagesse.

L’expansion de la conscience sociale, c’est l’expérience que nous sommes reliés à tout ce qui compose l’univers, que nous sommes un élément du Tout, de la Conscience Universelle.

Ce niveau de conscience est l’accomplissement des trois autres. La conscience dans ses modalités cognitive, mentale, intellectuelle, se projette au-delà d’elle-même dans l’univers intérieur et extérieur. À ce niveau certains peuvent faire l’expérience de ce que nous appelons l’Esprit. Étymologiquement, l’esprit c’est le souffle, la respiration. C’est le grand souffle de l’univers qui nous habite et avec lequel nous sommes constamment en interaction par le double mouvement expiration-inspiration. C’est l’Essence même de l’être humain, de la vie.

C’est la conscience quantique, métaphysique, la conscience du pouvoir créateur de l’univers ; c’est la conscience de l’au-delà de la terre, du temps et de l’espace ; la conscience de tous les univers possibles.

C’est la Conscience Universelle. Nous passons du psychologique à l’ontologique.

Ce niveau nous renvoie à ces expériences extatiques que nous vivons quelquefois : tout est relié et nous sommes reliés au Grand Tout, nous sommes un fragment de la conscience universelle, rien n’est dû au hasard, nous fonctionnons sur des principes d’interdépendance, nous sommes aussi en interdépendance avec le plus grand et tout est signe, tout a un sens au-delà de nous. Nous sommes dans la pleine conscience que notre existence a un sens au-delà de nous et de nos environnements proches, dans  la conscience que nous avons choisi de venir vivre dans la matière, parmi une infinité de choix possibles.

Conclusion : L’attitude méditative en psychothérapie

Je voudrais, pour terminer, inviter le lecteur à regarder comment ajouter à son savoir-faire un savoir-être qui découle de la posture basée sur le « être dans la conscience de ce qui se passe dans la relation thérapeute-patient. Il s’agit de développer ce que j’appelle « la posture méditative en thérapie », qui est la capacité à s’orienter dans le processus  en dansant avec les quatre modalités du niveau psychologique et leur extension au niveau transpersonnel, sur fond d’awareness. Voici quelques points de repère pour mettre en place cette posture :

1 – vous écoutez ce que le patient vous rapporte tout en portant votre attention sur vous-même en même temps que vous écoutez et observez ce qui se passe pour lui,

2 – vous repérez ce que j’appelle le « moment sensible ». C’est ce moment où vous observez que le patient est en haute intensité émotionnelle, ou qu’il est chargé d’une énergie particulière, ou que vous-mêmes êtes habité par quelque chose qui s’impose. Vous êtes dans la conscience qu’il se passe quelque chose pour lui, ou pour vous ou dans votre façon d’être ensemble,

3 – vous faites un « arrêt sur image » sur ce moment sensible : « laisse-toi sentir ce qui se passe en ce moment », ou bien « je voudrais partager quelque chose avec toi, quelque chose que je ressens en ta présence… laisse-toi sentir comment ça résonne en toi ». Cela veut dire que vous faites le choix de laisser les contenus et la problématique du patient passer dans le fond et de soutenir le continuum de la conscience comme outil clinique mis au service du processus,

4 – vous soutenez l’expérience du patient en train d’être dans le continuum de son expérience tout en restant vous aussi dans la conscience de ce qui se déroule ici et maintenant, sans rien attendre de particulier, jusqu’à ce que quelque chose émerge de votre expérience commune en relation,

5 – vous ralentissez le rythme, vous laissez des moments de silence, vous faites confiance, « vous ne forcez rien, et n’empêchez rien »,

6 – vous soutenez cette émergence, par une invitation à rester dans l’expérience, dans le ressenti, dans l’image, dans le souvenir, dans la régression, dans l’état intérieur du moment et dans ses fluctuations et vous invitez le patient à vous dire quelques mots de son  expérience du moment.

7 – ainsi vous commencez à créer un « dialogue thérapeutique incarné », vous entrez dans une phase verbale dans laquelle les mots viennent de l’expérience vécue ici et maintenant et ensemble,

8 – vous accompagnez la ou les prises de conscience vers l’action pour le changement dans la vie quotidienne. Nous sortons alors de l’attitude méditative, mais nous utilisons ce qu’elle a permis de faire émerger, pour nourrir la mise en action du changement dans la vie quotidienne. Nous rentrons dans une attitude à la fois plus cognitive et plus pragmatique en revenant à certains contenus ou à la problématique sur le fond de laquelle, tout ce processus s’est déployé. « Comment vois-tu ton problème maintenant ? Qu’est-ce que tu apprends de toi ? Comment vois-tu les jours, les semaines à venir ? »

9 – nous invitons parfois le patient à poursuivre le travail à l’extérieur, à observer comment tout ce processus influence ce qui se passe pour lui dans ses relations, ses différents environnements, jusqu’à la prochaine session.

Je nommais en introduction à cet article que l’awareness est la base de tout ce processus. Écoutons pour terminer le message de J. Wellwood : « Une partie de la guérison est de réaliser que l’awareness est l’environnement contenant primordial. L’awareness est l’enzyme qui nous permet de digérer les expériences non digérées du passé ; elle est donc bien le cœur d’une vie spirituelle incarnée ».

 

Cet article est un raccourci d’un article beaucoup plus long et plus complet  que le lecteur pourra demander, s’il le souhaite, à l’auteur : delacroixjm@hotmail.com

 

 Résumé :

L’auteur pose le « être dans le continuum de la conscience » au cœur de la relation thérapeute-patient dans une perspective transpersonnelle. Il affine la façon habituelle de comprendre la conscience en proposant huit modalités de conscience qui sont en interaction les unes avec les autres : quatre modalités au niveau psycho-social-existentiel avec chacune leur expansion au niveau transpersonnel. Puis il développe ce qu’il appelle la « posture méditative » comme outil clinique pour soutenir le processus et il donne neuf points de repère à l’attention des psychothérapeutes transpersonnels.

 

Bibliographie :

Delacroix J.M., La troisième histoire. Patient psychothérapeute : fonds et formes du processus relationnel, Dangles, 2006

Delacroix J.M., Le pouvoir de la conscience dans le processus de thérapie, revue de Gestalt de la SFG n° 47,

Delacroix J.M., La posture méditative en psychothérapie, à paraître dans la revue de Gestalt n° 49, automne 2016

Huguelit L., Les huit circuits de la conscience. Chamanisme, cybernétique, et pouvoir créateur, Mama Editions, 2012

Welwood J., Pour une psychologie de l’éveil, ed la Table Ronde, 2003

Wilber K., Une brève histoire de tout, Éditions de Mortagne, 1997

 

L’auteur

Jean-Marie Delacroix, psychologue clinicien, est l’un des pionniers qui a introduit la Gestalt-thérapie  en France. Il a été pionnier aussi pour explorer les ponts possibles entre Gestalt-thérapie, spiritualité  et chamanisme. Formateur, superviseur, conférencier au niveau national et international. Auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages dont : « La troisième histoire. Patient-Psychothérapeute. Fonds et formes du processus relationnel » (Dangles 2008)

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